Nellie Bly, première femme grand reporter

Elizabeth Jane Cochrane est née le 05 mai 1864 à Cochran’s Mills en Pennsylvanie. Elle deviendra une figure légendaire de la presse américaine. Son père, juge, a racheté petit à petit, durant toute sa vie des parts de terre et moulins du village qui porte le même nom qu’eux. Elizabeth est surnommée « Pinky » du fait qu’elle n’a que du rose dans sa garde-robe d’enfant.

C’est seulement à l’âge de six ans que son père décède. Sa famille est expulsée par la famille du défunt et reste sans argent. Sa mère, Mary-Jane se remarie des années plus tard avec un homme riche. Violent et alcoolique, elle divorce et la vie devient compliquée. Elizabeth va devoir travailler et aide sa mère dès l’âge de 15 ans à la gestion d’un pensionnat durant cinq années. Des années difficiles qui ont surement alimenté l’envie d’Elizabeth de devenir journaliste.

Destinée à être dame de compagnie ou gouvernante, elle se refuse cet avenir qui ne lui convient définitivement pas. Elle commence à écrire des poèmes dans sa chambre et des récits dès l’âge de 16 ans. Elizabeth a le rêve de devenir institutrice mais n’a pas assez d’argent pour les frais de scolarité et doit abandonner son rêve au bout d’un semestre. En 1880, elle part à l’aventure pour trouver un travail à Pittsburgh.

La naissance de Nellie Bly

Elle écrit au rédacteur en chef du Pittsburgh Dispatch, George Madden après la lecture d’un article sexiste dont le nom vous donne une idée du sujet : « Ce à quoi sont bonnes les jeunes filles ». Il y est notamment écrit que les femmes qui travaillent sont une monstruosité ! Des mots forts auxquels elle ne peut s’empêcher d’écrire une lettre virulente qu’elle signe « L’orpheline solitaire ». Dans cette lettre elle incite Madden à lui offrir un poste au sein du journal si elle arrive à lui prouver que son écriture est bonne. Un article qu’elle écrit sur le divorce et qui plaît au rédacteur. Plus tard, elle est engagée. La légende Nellie Bly est née.

Nellie Bly est le nom sous lequel elle va signer ses investigations afin de la protéger elle et sa famille. Un pseudonyme qui fait écho à une chanson très populaire de Stephen Foster. Cette femme brillante et aventurière devient alors la première journaliste activiste à s’infiltrer dans des lieux pour ses reportages clandestins.

Son premier travail d’investigation se fait dans une fabrique de conserves où elle se fait embaucher. Les conditions de travail des ouvrières sont dramatiques et elle alarmera les industriels qui eux, feront pression sur la direction du journal dans lequel Nellie travaille. La direction la cotonnera aux pages jardinage et théâtre. Mais c’est mal connaître Nellie Bly qui veut mettre en lumière les maux de la société.

Six mois au Mexique

En 1886, Nellie Bly part en voyage avec sa mère au Mexique. L’occasion pour elles de visiter de nombreuses villes dont El Paso et Mexico. Le Dispatch lui demande des articles sur les coutumes des Mexicains, la vie artistique et culturelle mais aussi sur les mœurs. Elle découvrira durant ces six mois que les Américains ont une fausse image du pays et des habitants. C’est alors qu’elle fait une description assez drastique des mœurs du pays et s’en fait expulser ! Cette expérience lui permet d’écrire le livre « Six mois au Mexique » en 1888, qu’elle dédie à Madden.

Infiltration dans un asile

Elle quitte Le Dispatch en 1887 et se rend à New-York en mai de la même année. Elle démarche de nombreux journaux avant de faire une sacrée entrée à la rédaction du New York World. Un coup qui lui permet d’être recrutée par le journal de Joseph Pulitzer. Il lui promet un vrai contrat si elle s’infiltre dans un asile. Offre acceptée ! Mais elle va bien trop facilement réussir à y rentrer…

Après s’être faite passer pour une immigrante cubaine au sein d’un pensionnat afin de feindre la folie, c’est le personnel lui-même qui contacta la police après plusieurs phases d’errance et de hurlements au sein de l’établissement. Elle affirme à plusieurs reprises que ses meilleures amies sont des arbres. Tous les médecins confirme son internement au Blackwell’s Island Hospital qui l’accueille à bras ouverts.

« Plus je me comportais comme une personne normale, plus ils étaient convaincus de ma folie. »

Après 10 jours de mauvais traitement, elle en sort et écrit un reportage qui fait le tour de la presse, faisant scandale. Elle y raconte les conditions épouvantables des patientes, dont l’une, devenue son amie, disparaît de manière étrange du jour au lendemain. Nourriture avariée, eau souillée, bain d’eau glacé autorisé une fois par semaine, maltraitance etc… Des femmes atteintes de maladies mentales se retrouvent aux côtés de femme en bonne santé, pauvres, sans famille pour les aider à prouver qu’elles sont saine d’esprit. Les patientes sont exploitées pour réaliser des travaux de couture, de nettoyage ou encore de blanchisserie. L’hôpital offre une capacité de 1000 personnes mais en réalité, c’est 1600 personnes qui s’y trouvent pour seulement 16 médecins et un personnel mal formé, violent. Un changement radical est opéré après l’apparition de « 10 jours dans un asile » en 1887 et des fonds sont apportés pour les structures médicales.

C’est à cette période que le reportage clandestin devient sa spécialité. Elle devient une célébrité et le New York World en profite en proposant des articles titrés comme « Nellie Bly achète un bébé« , parlant d’un reportage dénonçant le trafic de nourrissons. Durant la même année, en 1887, elle se déguise et rentre dans l’entourage intime du trafiquant Edward Phelps. Lui et plusieurs hommes politiques seront traduit en justice, sans condamnations, après cette mission de Nellie !

Jules Verne est fan d’elle !

L’année suivante, elle proposera au NY World l’idée d’entreprendre un tour du monde sur les traces de Phileas Fogg, héro de Jules Verne. Mais le journal refuse de la soutenir financièrement. On estime qu’une femme est incapable d’un tel périple seule. Elle répondra :

« Très bien, quel l’homme débute. Je commencerai le même jour pour un autre journal et je le battrai. »

Pourtant, en 1889, Jules Chambers l’autorise à partir à l’aventure ! Un seul bagage, une seule robe, elle part à l’aventure depuis Hoboken dans le New Jersey le 14 novembre 1889. Elle envoie des télégrammes à chaque étape et lors de son passage à Amiens, elle y rencontre Jules Verne, lui-même ! Il l’accueille avec enthousiasme et la reçoit dans son bureau. Elle raconte dans son livre « Le tour du monde en 72 jours » qu’il est admiratif de son travail. 72 jours plus tard, le 25 janvier 1890, elle est accueillie par des milliers de personnes à Jersay City.

Cheffe d’entreprise

Aux États-Unis, elle devient à seulement 21 ans la première journaliste influente. Ses nombreux ouvrages oubliés trouvent lecteurs et font succès. Elle s’essaye au roman fictif avec « Le mystère de Central Park » publié en 1889 mais c’est un échec et il est le premier et seul roman de Nellie.

En 1895, elle a du mal à se remettre de son dernier long voyage autour du monde et se met à boire. La même année, elle épouse le milliardaire Robert Seaman, qui a quarante-deux ans de plus qu’elle. Il meurt rapidement, en 1904 et elle prend la décision de faire une pause de dix années dans le journaliste afin de diriger au mieux l’entreprise de son défunt mari, Iron Clad Manufacturing. Elle améliore les conditions de travail au sein du site. C’est sans nous rappeler sa première infiltration ! Les affaires tournent, elle obtient même des brevets pour de nouveaux objets du quotidien mais elle est arnaquée par son comptable ; l’entreprise fait faillite. Presque ruinée, elle vend l’entreprise avant de partir en 1914, en Autriche.

Carte de visite fabriquée pour l’Exposition panaméricaine de 1901.

Correspondante de guerre

Nellie Bly a encore plein de ressources, elle ira d’ailleurs à cette période-là sur le champ de bataille, en s’infiltrant dans les tranchées. Elle devient la première femme correspondante du front Est pendant la Première Guerre mondiale. Elle raconte ce qu’elle y a vécu et vu.

« La tranchée était boueuse et dégoûtante. Je glissais, trébuchais en retenant mon souffle. Du moins ce qu’il m’en restait. Je commençais à me demander si nous allions sortir de là. À cet endroit précis, la tranchée mesurait un peu plus de deux mètres de haut et était aussi glissante qu’un mât de cocagne. Avec mes semelles sans clous, je dérapais et manquais de tomber à la renverse. »

Nellie Bly sur le font de l'Est en Pologne © Getty

À son retour à New York, elle continue d’écrire pour la presse américaine, aidant les citoyens à trouver un emploi ou un logement. Malheureusement, elle meurt le 27 janvier 1922 d’une pneumonie à New York. La globe-trotteuse de 57 ans se voit paraître un article au lendemain de sa mort la déclarant comme « La meilleure journaliste de l’Amérique« .

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