En Ukraine, l’héroïsme s’écrit au féminin

Ukraine
Monument de l'indépendance, Kyiv

Depuis quelques semaines, en raison d’une actualité internationale particulièrement sombre, tous les regards sont tournés vers l’Ukraine. Malgré le fait qu’il constitue le deuxième plus grand du continent européen, ce pays était jusqu’à maintenant peu souvent le sujet des conversations. Notamment en Europe de l’Ouest, nous étions peu nombreux à en connaitre leurs coutumes ou leur culture.

Une chose que ces derniers temps auront révélé à la face du monde, c’est le courage exemplaire de ce peuple ukrainien et surtout l’amour inconditionnel qu’ils portent à leur pays. En effet, depuis le début du conflit, un grand mouvement de résistance s’organise au sein du peuple ukrainien. Des personnes prenant directement les armes à celles qui organisent des réseaux d’entraides à l’intérieur du pays et à l’étranger, tous les citoyen.ne.s ukrainien.ne.s s’engagent dans la bataille.

C’est notamment l’investissement des femmes qui auront avant tout étonné. Pourtant tous les experts le confirment ; Cet engagement de la population féminine est loin d’être un phénomène nouveau en Ukraine. C’est même, au contraire un symbole d’une tradition féministe bien ancrée dans le pays.

Nous avons donc voulu partir à la découverte des femmes d’exception d’Ukraine. Aujourd’hui, nous vous en présentons trois qui ont, à leur manière, marqué l’histoire de ce grand pays et du monde.

Lioudmyla Pavlitchenko

Lioudmyla Pavlitchenko Ukraine

Lioudmyla Mykhaïlivna Pavlitchenko (en ukrainien : Людмила Михайлівна Павліченко) vient au monde le 12 Juillet 1916 à Bila Tserkva en Ukraine, ville de l’oblast (subdivision administrative) de Kyïv. Enfant, elle se définie comme une tomboy. Elle aime se confronter aux garçons et prouver que les filles sont aussi douées qu’eux, voir meilleures.

En 1916, la famille Pavlitenchenko déménage à Kyïv. Lioudmyla, alors âgée de 14 ans, décide de s’inscrire dans un club de tir et devient tireuse d’élite tout en travaillant comme ouvrière à l’usine d’arsenal de Kyïv. En Juin 1941, la jeune femme étudie l’histoire à l’université de Kyïv lorsque l’Allemagne nazie envahie le territoire soviétique. Lioudmyla est parmi les premières volontaires à se présenter au bureau de recrutement. Elle est enrôlée dans l’armée en tant qu’infirmière mais la jeune fille, elle, veut à tout prix combattre dans l’infanterie.

Loin de se laisser abattre, Lioudmyla fait ses preuves sur le terrain et est finalement affectée à la 25e Division d’infanterie de l’Armée rouge. Elle devient ainsi l’une de ses 2 000 femmes tireuses d’élite. Seul 500 d’entre elles reviendront de la guerre. Elle combat pendant deux mois et demi près d’Odessa où elle tue 187 ennemis et obtient le rang de sergent.Lorsque les nazis prennent le contrôle d’Odessa, son unité est envoyée à Sébastopol, dans la péninsule de Crimée. Elle participe au siège de Sébastopol pendant huit mois ; Les combats sont intenses, les pertes énormes.

En mai 1942, le Conseil de l’Armée du Sud l’a cite pour avoir tué 257 soldats allemands. Ce dernier l’a promu alors lieutenante. Ses missions deviennent de plus en plus dangereuses mais elle devient de plus en plus redoutée pour ses ennemies. Son pointage total confirmé pendant la guerre est de 309, y compris 36 tireurs d’élite ennemis. Elle gagne alors le surnom de « Lady Death« . L’armée allemande tentera plusieurs fois de la soudoyer en lui envoyant des messages à travers la radio. Plus le temps passe, plus les pots-de-vin se transforment en menaces “Si on t’attrapes, on te découpe en 309 morceaux qu’on éparpillera au vent”. Elle se dit alors honorée, et non effrayée, que l’ennemi connaisse son record exact. C’est en Juin 1942, qu’un tir de mortier blesse la jeune femme de 25 ans au visage. En raison de sa célébrité croissante, elle est retirée du front peu après son rétablissement. L’armée lui donne alors un nouveau rôle, celui de la propagande.

En Septembre 1942, l’armée l’envoie au Canada et aux États-Unis. Sa mission est de convaincre les autres alliés de la Seconde Guerre mondiale d’ouvrir un second front, à l’ouest, contre l’Allemagne nazie. Le président Roosevelt la reçoit à la Maison Blanche. Elle est la première citoyenne soviétique à avoir cet honneur. Eleanor Roosevelt, qui deviendra l’une de ses proches amies, l’invite ensuite à effectuer une tournée à travers les États-Unis pour raconter ses expériences. Cependant, la presse américaine ne la prend pas au sérieux et la surnomme “Girl Sniper”. Lors des interviews, on l’interpelle sur la longueur de sa jupe, son uniforme, son physique. Lassée, elle déclarera lors d’une conférence de presse :  « J’ai 25 ans et j’ai déjà tué 309 occupants fascistes. Ne pensez-vous pas, messieurs, que vous évoluez dans mon ombre depuis trop longtemps ?

Elle se consacre ensuite et ce jusqu’à la fin de la guerre, à la formation des tireurs d’élite soviétiques et atteint le grade de major. En 1943, elle reçoit la médaille d’or d’Héros de l’Union soviétique et un timbre poste à son effigie lui rend hommage. Après la guerre, elle achève ses études à l’université de Kyïv et commence une carrière d’historienne. De 1945 à 1953, elle travaille comme chercheuse assistante au quartier général de la Marine soviétique. En 1957, quinze ans après sa tournée américaine et en pleine guerre froide, Eleanor Roosevelt vient lui rendre une dernière visite surprise à Moscou.

Malheureusement, comme beaucoup de soldats, Pavlichenko souffrira pendant des années de stress post-traumatique, de dépression et d’alcoolisme. La perte de son époux pendant la guerre la hantera également jusqu’à la fin. Le 10 Octobre 1974, Lioudmyla décède d’un arrêt cardiovasculaire à l’âge de 58 ans. Elle est enterrée au cimetière de Novodevichy à Moscou aux cotés de son fils. Encore aujourd’hui, Lioudmyla Pavlichenko reste la plus grande tireur d’élite de tous les temps.

Milena Rudnytska

Milena Rudnytska Ukraine

Milena Rudnytska (en ukrainien : Мілена Рудницька) est née le 15 Juillet 1892 à Zboriv, une ville de Galicie (province de l’Empire d’Autriche répartie sur les territoire actuelle de la Pologne et de l’Ukraine) d’un père issu de la noblesse sans titrée ukrainienne et d’une mère juive galicienne. De confessions religieuses différentes, le couple se marie malgré l’opposition de leurs familles et ils décident d’élever leurs enfants en tant que ressortissants ukrainiens.

À la mort de son père en 1906, la famille déménage précipitamment à Lviv. En 1910, Milena entre à l’université de Lviv pour étudier la philosophie et obtient un diplôme d’enseignement en philosophie et en mathématiques. Elle part ensuite étudier à Vienne où sa famille la rejoint pour fuir les combats de la Première Guerre mondiale. En 1917, elle obtient son diplôme en pédagogie de l’Université de Vienne.

Quelques années plus tard, après un mariage et la naissance de son fils unique, la jeune femme retourne vivre en Galicie. Suite à la guerre polono-ukrainienne (1918-1919) pour le contrôle de la région après la dissolution de l’Autriche-Hongrie, la région appartient maintenant à l’État polonais et de nombreuses décisions politiques visent à persécuter les populations minoritaires notamment ukrainiennes. Milena soutient évidemment le mouvement national ukrainien mais elle estime que les rôles attribués aux femmes sont inférieurs à ceux attribués aux hommes. Elle décide alors de concentrer son attention sur l’organisation de mouvements féministes afin d’impliquer les femmes et leur faire développer une conscience citoyenne.

En 1920, elle divorce et retourne à Lviv avec son fils. Elle y débute sa carrière d’enseignante à l’école normale des enseignants puis à l’institut pédagogique supérieur de Lviv. Elle abandonnera cette carrière en 1928 afin de se consacrer entièrement aux questions sociales et politiques.
La même année, elle cofonde avec quatre autres collègues féminines, l’Union des Femmes ukrainiennes (Союз українок). Elles y organisent des revues féminines, des conférences et des coopératives. Entre 1928 et 1939, elle prend la présidence de l’Union.
Après avoir rejoint l’Alliance démocratique nationale Ukrainienne (parti politique), elle est élue membre du Sejm (Diète de la république de Pologne ; Chambre basse) en 1928. Elle y siège jusqu’en 1935. En plus de ses deux mandats, elle poursuit une carrière de journaliste et écrit pour plusieurs revues féministes.

Au Parlement, Milena est connue pour être une oratrice charismatique, défendant avec acharnement l’Ukraine et critiquant le régime polonais. En 1931, elle fait partie de la délégation (avec deux autres délégués Ukrainiens) qui plaide devant la Société des Nations contre les autorités polonaises.  Ils dénoncent le régime de réprimer et vouloir faire disparaitre la culture ukrainienne.

Au cours de la famine de 1932-1933 en Ukraine, elle devient vice présidente du Comité de sauvetage public et organise de nombreuses réunions avec des politiques, scientifiques, éducateurs pour lutter contre le problème d’alimentation. En raison de ses liens internationaux avec des organisations féministes, elle est choisie pour solliciter l’aide internationale devant la Société des Nations, le 29 Septembre 1933 à Genève. Malheureusement, cette dernière décide qu’il s’agit d’un problème interne à l’URSS et qu’elle n’apportera pas son aide. De leur coté, le régime stalinien nie l’existence de la famine. Milena continuera à se battre et solliciter l’aide internationale sans y parvenir.

Peu à peu, elle devient une des voix les plus puissantes du mouvement des femmes ukrainiennes. Quand Hitler arrive au pouvoir en 1933, elle dénonce les nouvelles lois apportées par le régime vis à vis des femmes. Les métiers juridiques et de la fonction publique leur sont interdits, des quotas sur le nombre de femmes ayant accès à l’enseignement supérieur sont mis en place.

Milena participe à l’organisation du premier Congrès des femmes ukrainiennes, à Stanyslaviv en 1934. Pendant ce temps, le gouvernement polonais surveille de près les membres de l’Union mondiale des femmes ukrainiennes, arrêtent certaines des dirigeantes et essayent de faire interdire l’organisation.

En 1939, l’armée soviétique envahit la Pologne. Le régime annexe alors la Galicie. Craignant les répressions du régime soviétique, Melina part en exil. Elle le restera jusqu’à la fin de sa vie. Elle se rend d’abord à Cracovie, sous occupation nazie. L’année d’après, elle déménage à Berlin où son fils termine ses études. En 1943, elle déménage à Prague et publie son livre “Ukraine occidentale sous les bolcheviks” (Zakhidna Ukraina pid bolshevykamy) . Elle s’installe de nouveau à Berlin d’où elle dirige le Comité de secours ukrainien à Genève entre 1945 et 1950. En 1950, elle part pour New York et y reste 8 ans avant de revenir en Europe, d’abord à Rome puis à Munich.

Melina Rudnytska s’éteint le 29 Mars 1976 à Munich à l’age de 83 ans. Ses restes sont inhumés à Lviv en 1993 aux côtés d’autres membres de la famille Rudnytska.

Lessia Oukraïnka

Lessia Ukraïnka Ukraine

Laryssa Petrivna Kossatch-Kvitka (en ukrainien : Лариса Петрівна Косач-Квітка), plus connue sous son pseudonyme Lessia Oukraïnka (Леся Українка), est née le 13 Février 1871 à Novohrad-Volynskyï en Ukraine.

Chez les Kossatch, le talent c’est une histoire de famille. En effet, la mère de Lessia n’est autre qu’Olha Petrivna Drahomanova-Kossatch (Ольга Петрівна Косач), plus connue sous son nom de plume Olena Pchilka (Олена Пчілка), une des femmes les plus illustres d’Ukraine. Politicienne, scientifique, diplomate, journaliste, éditrice, écrivaine, ethnologue et féministe …. c’est une touche à tout.

Son père, Petro Antonovytch Kossatch est un intellectuel et fonctionnaire ayant participé au mouvement révolutionnaire estudiantin de 1861. Son oncle maternel, Mykhaïno Drahomanov (Михайло Петрович Драгоманов), est un philosophe et ethnologue éminent de la culture ukrainienne. Très engagé politiquement, il devient son mentor et prend en charge l’éducation culturelle de la jeune fille.

De plus, la résidence des Kossatch, c’est un lieu de rencontre où se retrouvent écrivains, peintres, et musiciens. Enfant, elle assiste aux soirées littéraires et aux concerts de famille. Avec un tel héritage et environnement culturel, la jeune fille ne peut que briller. D’ailleurs, c’est à l’âge de neuf ans qu’elle écrit son premier poème, « L’espérance » en réaction à la déportation de sa tante en Sibérie par l’administration tsariste pour avoir participer au mouvement de libération nationale.

Durant leur enfance, Lessia et son frère cadet sont scolarisées à domicile. Une des raisons principales, est la santé fragile de la jeune fille atteinte de la tuberculose. Une autre, est leur mère qui, voulant une éducation exemplaire pour ses enfants, fait appel à des instituteurs privés et leur fournit des ouvrages de niveau universitaire. Lessia développe rapidement un talent inouï pour les langues étrangères. Elle effectue de nombreuses cures dans des sanatoriums, à travers l’Europe et maitrise ainsi plusieurs langues européennes (anglais, français, allemand, italien, polonais, russe, bulgare et ukrainien) ainsi que l’ancien grec et le latin. Ses voyages l’enrichissent également intellectuellement et émotionnellement. Elle y fait la connaissance de beaucoup d’intellectuels ukrainiens qui la font entrer dans un cercle artistique.

Vers les années 1880, la famille Kossatch déménage à Kyïv et Lessia commence à gagner en popularité en tant que poète. Avec son frère, elle fonde un club littéraire “La Pléïade”. De jeunes intellectuels s’y retrouvent dans le but de développer et promouvoir la culture et la langue ukrainienne. Ils se consacrent également à la traduction vers l’ukrainien des œuvres de la littérature classique. Parmi celles traduites par Lessia, figurent Homère, Victor Hugo, Dante ….

En 1893, paraient ses deux premiers recueils de poèmes « Sur les ailes des chants » et « Les Pensées et les rêves ». La Russie faut interdire par la censure le premier et la jeune femme se retrouve alors sous surveillance policière.

En 1895, elle publie « Le cycle des Chants des escales”, sa première œuvre politique. À partir de ce moment là , son lyrisme social et politique ira jusqu’à l’audace et la protestation révolutionnaire. Elle se retrouve emprisonnée avec sa sœur en 1907. En 1896, elle rédige en français un pamphlet politique « La voix d’une prisonnière russe”. Elle y critique les artistes français qui ont fait une réception somptueuse à l’empereur russe Nicolas II à Versailles en 1896. Elle célèbre le folklore et l’art ukrainien dans son troisième recueil de poèmes « Les Echos” en 1902.

Au début du XXème siècle, elle aura composé plus de cent poèmes. La moitié seront publiés à titre posthume. En effet, la tuberculose aura malheureusement raison d’elle et décède le 13 Juillet 1913 lors d’un séjour à Géorgie, à l’âge de 42 ans.

Amoureuse et fière de son pays, comme le montre son pseudonyme choisie, Lessia Oukraïnka n’est pas q’une figure de la littérature ukrainienne. Elle laisse encore aujourd’hui un gigantesque héritage culturel au delà de ses frontières. Pour lui rendre hommage, on fait ouvrir un musée littéraire et un mémorial en son honneur et de nombreuses statues la représentent à travers l’Ukraine et le monde. La majorité des villes du pays possèdent une avenue à son nom.

« Non, je suis vivante, je vais vivre toujours, j’ai un cœur qui ne meurt pas..«  avait-elle écrit. Des mots qui, plus de 100 ans après, résonnent encore fortement dans le cœur de millions de ses concitoyen.ne.s.

Bibliographie

  • “Lady Death” of the Red Army: Lyudmila Pavlichenko – The National WWII museum
  • Lady Death: Lyudmila Pavlichenko, the Greatest Female Sniper of All Time – www.mentalfloss.com
  • Lessia Oukraïnka (1871-1913) – www.lettresukrainiennes.blogspot.com
  • Lessia Oukraïnka: une poétesse ukrainienne par excellence – mon-ukraine-blog.blogspot.com
  • Strong and hot poetic word of Lesya Ukrainka – National Technical University of Ukraine
  • Des Femmes dans les guerres – Podcast France Culture
  • Ukraine’s women fighters reflect a cultural tradition of feminist independence – The Conversation
  • Wikipedia.com
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